La valeur de Heinz.
Bonjour à tous. Voici mon premier blogue. J’espère vous y faire découvrir des éléments de théorie que l’on peut utiliser en pratique. J’espère également vous faire considérer de nouveaux produits. Je pourrais de temps à autre briser certains mythes. Bref, je veux vous faire partager ma vision sur certains aspects de la finance en espérant que cela vous soit un jour utile. J’espère bien sûr que la lecture sera agréable. Alors, bonne lecture !
Un groupe d’investisseur a récemment offert 72,50 $ pour chaque action de Heinz. Warren Buffet fait partie de ce groupe. M. Buffet a la réputation de faire de bonnes acquisitions. Est-ce le cas avec Heinz ?
Juste avant l’annonce, le titre se transigeait autour de 61 $. Un prix de 72,50 $ représente donc une prime de près de 19 % par rapport à 61 $. Si un groupe d’investisseurs particulièrement futés offrent 72,50 $ pour le titre, c’est que leur évaluation la firme à un montant supérieur à ce chiffre. Ils se gardent une certaine marge de manœuvre.
Selon les données obtenues du site de Reuters, la transaction se fait à un multiple de 7,7 fois la valeur comptable. Cela semble très cher payé. Le ratio cours/bénéfice est également assez élevé à 22,3 fois. Pas non plus une aubaine. Que voit donc M. Buffet ?
Le rendement sur l’avoir des actionnaires (ROE), toujours selon Reuters, a été de 35,8 % au cours des douze derniers mois et la moyenne sur 5 ans est de 44,1 %. On commence à comprendre ce que peut bien voir M. Buffet et son groupe…
Un ROE aussi élevé est intéressant, mais il attire la concurrence. Cette compétition pourrait réduire le rendement futur. Par contre la concurrence se bute ici à une marque de commerce bien établie. Aussi, les marges de Heinz ne sont pas trop en danger. C’est ce que voit M. Buffet : une marque de commerce forte qui assure des marges intéressantes pendant plusieurs années encore puisque la compétition sera tenue à distance.
Comment se traduit cet avantage dans la valeur d’une action ? Par la possibilité de pouvoir obtenir un excellent rendement sur une partie des bénéfices réinvestis dans l’entreprise. Ce ne sont pas toutes les sommes qui peuvent profiter de la force de la marque de commerce, mais une partie seulement peut justifier un prix élevé.
En prenant quelques hypothèses assez simplistes, mais tout de même très révélatrices, nous pouvons estimer une valeur pour Heinz. Le bêta du titre est de 0,6. Je vais toutefois utiliser 0,8 pour être conservateur. Avec un taux obligataire 30 ans autour de 3 % aux États-Unis et une prime de risque de 6 %, on obtient un taux de rendement exigé de 7,8 % (3 % + 0,8 x 6 %). On peut arrondir ce taux à 8 % pour les fins de notre illustration.
J’utilise un ROE de 30 %, soit un ROE inférieur à la moyenne des cinq dernières années. Je pose également l’hypothèse que 20 % des bénéfices pourront être réinvesti à ce ROE de 30 %, l’autre 80 % devant être versé sous forme de dividende. Selon les chiffres de Reuters, la valeur comptable de l’action est d’environ 9,40 $. Un ROE de 30 % signifierait un bénéfice par action de 2,82 $ (9,4 $ x 30 %). Je sais, la réalité n’est pas celle-là. Ce qui m’importe est d’avoir des chiffres qui ont un sens à long terme. La situation actuelle faisant partie du court terme, elle n’est pas très pertinente.
Selon mes hypothèses, le dividende présumé correspondrait donc à 2,26 $ (2,82 $ x 80 %). Si le 20 % qui n’est pas versé en dividende peut être investi à 30 %, le dividende serait en croissance de 6 % par année soit 30 % x 20 %. Avec le modèle d’actualisation des dividendes connu comme le modèle de Gordon (V = D/(k-g)) ou V est la valeur, D le dividende, k le taux de rendement exigé et g le taux de croissance des dividendes on obtient une valeur de 113 $ (2,26 $/(0,08 – 0,06)).
Le modèle de Gordon n’est pas parfait, mais il permet ici d’illustrer l’impact de marges élevées protégées par une marque de commerce forte. M. Buffet voit-il 113 $ de valeur dans Heinz ? Peut-être pas, mais il voit plus que 72,50 $ puisqu’il accepte de payer ce prix. Il est prêt à payer 7,7 fois la valeur comptable et 22,3 fois les bénéfices de l’entreprise.
Si on vous dit que 7,7 fois la valeur comptable est un prix trop élevé pour une action, pensez à M. Buffet, à Heinz et … à ce blogue!